Le Phare Rose a lu pour vous : Le Coaching Orienté Solution®, de Philippe Bigot
« Cessez de résoudre des problèmes, construisez des solutions »
Le sous-titre de ce livre résume assez bien la transformation de schéma mental que nous autres consultants, coachs, analystes… – bref, tout le panel de profils qui accompagne des personnes et des entreprises au quotidien – devrions envisager pour mieux nous orienter vers les solutions. Il s’agit ici d’un manuel pour comprendre les fondements et prémisses du Coaching Orienté Solution® (ou COS®). Le modèle est ensuite détaillé sous forme de pratiques et d’outils pour celui ou celle qui souhaiterait les expérimenter. Le Phare Rose vous offre ici modestement d’en retracer et analyser quelques-unes des grandes idées.
Disclaimer : l’auteure de ces lignes n’est pas coach professionnel, et n’a pas comme projet professionnel de le devenir. Son analyse est donc certainement différente de celle du lecteur déjà coach ou qui souhaite le devenir ! Le lecteur « dilettante » de ce livre y trouvera quand même de quoi enrichir sa pratique professionnelle en dehors du contexte de coaching, promis !
Etre coach, pas si simple
On voit bien chez l’auteur une certaine frustration (compréhensible) par rapport au « tout coaching » omniprésent de nos jours. . « Coachez votre enfant en mathématiques », « Soyez coachés pour vos vacances » … Le COS® est inscrit dans le cadre précis d’un développement professionnel, à contre-courant de cela. Philippe Bigot ne nie pas qu’il puisse y avoir du développement personnel et que les séances puissent inclure des échanges liés à de l’histoire personnelle. Toutefois, ce n’est en aucun cas un but ni un moyen à privilégier pour mener à bien le coaching professionnel.
Le coach est dans ce modèle au centre d’un paradoxe essentiel. Il est à la fois le « non-sachant », presque effacé ; et en même temps guidé par un désir d’aider par définition prégnant et structurant. La notion d’éthique est également essentielle pour l’auteur qui y consacre plusieurs pages dès le début, et y revient régulièrement. Il est clair que, pour lui, le coaching est plus qu’un simple « métier » mettant en jeu l’application de méthodes et outils. Il y a alors un monde entre la formation et le fait d’être et de rester coach.
La posture du coach est aussi un point important. Le modèle COS® encourage à conserver en tout temps une posture basse. C’est un point sujet à débat, sur lequel l’article de Pierre Fauvel sur les postures de coaching peut ouvrir quelques autres horizons.
Ces parties seront donc éclairantes pour le lecteur qui envisage cette fonction ou est déjà coach. Pour le reste d’entre nous non-initiés, la lecture en reste intéressante, mais la résonnance en est forcément moins grande.
Des fondements théoriques du Coaching Orienté Solution®
Un quart du livre environ est consacré aux apports théoriques desquels est tiré le modèle COS®. On en retire que le coaching, de manière générale, s’appuie sur une multitude de disciplines et de modèles théoriques. Les sources proviennent de la psychosociologie des organisations, psychologie sociale, sociologie, théorie du management et des organisations, ou encore des modèles psychanalytiques, psychodynamiques, comportementalistes, systémiques… Le lecteur non expert (comme votre serviteur) y trouvera des ressources bibliographiques utiles pour approfondir.
Dans le cas du COS®, l’apport académique fondateur est celui de « l’école de Palo Alto » et particulièrement des travaux de de Shazer. Ces travaux se basent sur le constructivisme et un modèle systémique centré sur la solution. On y postule que toute réalité est une construction de la personne qui l’exprime. Un problème n’est donc qu’une construction faite par la personne qui l’énonce, et même une co-construction faite entre deux personnes qui en discutent. L’enjeu pour le coach revient alors à entrer dans la démarche de co-construction avec le coaché, pour bâtir avec lui les solutions pour arriver à ses objectifs.
« Il n’y a pas de vrai problème, ou de plus gros problème derrière le problème »
C’est d’ailleurs un des 9 prémisses du Coaching Orienté Solution®. C’est peut-être celui qui challenge le plus le lecteur habitué à creuser et analyser la définition du problème afin de le résoudre. On aurait aussi pu choisir pour illustrer ce propos cette autre citation : « C’est à partir des solutions que l’on crée des solutions ». On y apprend que problèmes et solutions ne relèvent pas du même espace mental de construction. En d’autres mots, en restant dans l’espace des problèmes, on ne trouvera jamais de solutions.
C’est extrêmement intéressant, et souvent vertigineux : car à la lecture, on se prend à revenir souvent à la question : « Mais au fond, quel est le problème dans cette situation ? ». Raté…
Dans le COS®, le problème du coach n’est pas vraiment de résoudre le problème. Le problème du coach, c’est d’abord de permettre au coaché de trouver des solutions qui permettent d’arriver à une « situation souhaitée ». On ne travaille le problème que pour finalement construire des situations ou des comportements avec lesquels ce problème disparaît, ou est atténué. Il ne s’agit donc pas tant de remédier au problème que de trouver et favoriser des situations où il ne se produit pas. On y analyse alors les actions et comportements (« ressources actionnables ») mises en œuvre, et on les transforme en « débuts de solutions » à tester dans le futur. Le manuel propose un processus cadré et outillé pour réaliser cette transformation chez le coaché.
Un processus très cadré qui repose sur la coopération
Un guide pratique pour les coachs professionnels
Une moitié environ du manuel est consacré à la pratique concrète du Coaching Orienté Solution®. L’auteur propose une méthode assez détaillée pour le modèle de coaching. Certains aspects pratico-pratiques (prix des séances, contrat, nombre de séances) sont si spécifiques qu’ils ne serviront sans doute pas à nous autres, non coach. Le manuel propose également un déroulé type de séances, dont je ne jugerai pas de la pertinence étant donné ma position.
Les schémas d’analyse, méthodes et outils proposés sont tout à fait à même de servir à un lecteur en-dehors du cadre du coaching professionnel. Les propos sont illustrés par des vignettes tirées d’entretien réel qui permettent de mieux visualiser l’utilisation de certains outils et concepts. Si les dialogues semblent parfois forcés (peut-être tout simplement parce qu’écrits sur une page), ils sont tout à fait utiles en termes de représentation. Il y a parfois des scenarii de réaction qui nous plongent dans « Un coaching dont vous êtes le héros », ce qui n’est pas pour déplaire aux nostalgiques du genre !
La coopération comme fondation de la méthodologie
Un aspect fondamental du processus repose sur la coopération de la personne qu’on postule comme étant systématique et complète. On ne cherche donc pas à interpréter des éléments comme des résistances, mais à considérer que la personne coopère au mieux de ses capacités en but d’atteindre l’objectif. C’est un postulat extrêmement puissant du point de vue managérial, et qui s’approche aussi de la notion centrale en agilité : les gens font de leur mieux. On a tendance à chercher de la résistance au changement, mais le COS® postule qu’il n’y en a pas.
Dans le cadre du coaching, où le coaché est acteur et désire le changement, on peut imaginer que la coopération soit un postulat. Dans le monde des organisations de manière plus générale, il me semble que la coopération ne peut toujours être considérée comme acquise.
Le postulat permet toutefois de réfléchir à une notion-clé : ce n’est pas parce que la personne ne coopère pas comme on l’attend, qu’elle ne coopère pas. Autre avantage, en considérant la coopération comme acquise, on se place dans une dynamique de coopération qui peut devenir une prophétie auto-réalisatrice.
Du cercle d’objectifs aux débuts de solution : les concepts utiles
Au-delà de concepts intéressants, l’auteur propose un certain nombre de concepts et d’outils qui peuvent être utiles à tous les lecteurs. Ma petite sélection, en exclusivité pour vous :
Le cercle d’objectifs
Le « cercle d’objectifs » permet de décliner l’objectif général du coaching, défini préalablement, en objectifs spécifiques pour le coaché. Il en devient ainsi véritablement l’acteur, en le construisant et l’illustrant en autonomie. C’est un principe permettant à la fois d’impliquer la personne dans son changement, mais aussi d’y mettre en jeu sa créativité. In fine, le cercle d’objectifs devra permettre de faire le lien entre objectifs et actions à identifier pour mettre en œuvre le changement.
Le type de relation
Entre alors en jeu la notion de type de relation entre coach et coaché :
Relation « visiteur »
Le coaché ne souhaite pas spécifiquement travailler des problèmes, et il est donc difficile de construire un objectif. L’enjeu est ici de faire évoluer vers un autre type de relation. Si cela n’est pas possible, le coaching peut prendre fin.
Relation « plaignant »
Le coaché est concentré sur le(s) problème(s), et assez peu sur un objectif ou une situation souhaitée. L’enjeu est ici de montrer les marges de manœuvre du coaché face au problème.
Relation « acheteur »
Le coaché se voit comme un acteur des situations qui font problème pour lui. Il se représente des objectifs et attend des solutions que le coach lui apportera. L’enjeu est ici de placer le coaché et non le coach comme le cœur de la recherche de solutions.
Relation « co-coach »
C’est la situation « idéale » de fin de coaching, où le coaché prend l’initiative d’actions et de recherche de ressources actionnables. Il sait prendre de la distance pour comprendre leur effet sur les situations. L’enjeu est alors d’encourager et de faire le bilan !
Cette analyse permet d’appréhender la relation du coaché à l’objectif et au problème. Le coach peut en tirer des outils et méthodes à privilégier ou à éviter pour faire ressortir les « débuts de solution » parmi les outils proposés.
L’espace de questionnement
L’objectif du COS® est toujours de re-constuire des situations dans lesquels le problème est mis à distance, disparu, ou résolu, et d’identifier ce qui est différent dans ces situations. En travaillant ce qui est différent, on trouve les « ressources actionnables » qui peuvent être utilisées comme « débuts de solution ».
Pour cela, l’auteur propose une classification en 6 « espaces de questionnement » qui permettent d’étudier une situation par différentes approches. Ces espaces de questionnement sont :
- le coaché
- le problème
- les autres
- l’objectif de coaching
- l’objectif spécifique
- les débuts de solution
Cette classification sert de boussole permettant de repérer le cheminement d’une personne dans sa construction, et de carte des espaces « vides » à travailler avec le coach.
Les techniques de questionnement en Coaching Orienté Solution®
Pour se déplacer dans les divers espaces de questionnement, plusieurs outils sont à disposition, dont les différentes « questions ». Chacune a son propre objectif et ses propres bénéfices. Elles peuvent ainsi être adaptées et utilisées, y compris dans une relation d’accompagnement hors coaching.
Question sur les moments d’exceptions
« Que s’est-il passé et qu’avez-vous fait quand le problème ne s’est pas posé ? »
Cela permet de ne pas se focaliser sur le problème mais bien sur les situations positives et les ressources dont fait preuve la personne dans ces situations. L’important est de décrire assez précisément ce qui est différent, car des ressources actionnables peuvent y résider.
Question « à échelle »
« A combien vous situez-vous sur tel élément ? Que devrait-il se produire pour passer à +1 ? Combien votre manager vous mettrait-il ? »
Ces questions permettent de se projeter concrètement dans des actions imaginées pour que les choses se passent mieux. Circulariser la question avec des interlocuteurs clés (manager, collaborateur…) permet également au coaché de réfléchir d’un point de vue extérieur. Il trouve ainsi plus facilement des ressources actionnables qu’il n’aurait pas identifiées seul.
Question du miracle du changement
« Supposons que le problème a disparu. Qu’est-ce qui vous permet de voir que le problème a disparu ? »
Cette question permet de faire émerger ce qui sera possible une fois le problème disparu, pour mettre en œuvre des actions en lien avec ces possibilités. Elle est particulièrement utile lorsque la personne n’arrive pas à « sortir » du problème.
D’autres formes de questionnements sont abordées comme l’externalisation, ou les questions sur le coping (résilience). Ces questions permettent d’approfondir le travail sur le problème, les objectifs, les ressources actionnables.
Ce qu’on retire du Coaching Orienté Solution®
Ce manuel est riche d’outils et méthodologies, dont certains peuvent parfois passer par-dessus la tête d’un lecteur qui ne serait pas expert en coaching. Toutefois, il permet souvent d’ouvrir de nouveaux espaces de réflexion. Managers, consultants, ou toute personne qui souhaite développer des techniques de compréhension et d’accompagnement vers la solution y trouveront matière à penser.
Son principal apport, le « penser solution », doit s’éprouver dans le temps et le concret. Il est facile à comprendre, mais aussi facile à oublier pour retourner à une « approche diagnostique » du problème. Il faut donc régulièrement y revenir et le confronter à la vraie vie pour en tirer tout le bénéfice.
L’importance de la coopération et du questionnement sont aussi de très bonnes raisons de lire ce livre pour enrichir votre boîte à outils professionnelle.
Et en bonus, une illustration du talentueux Sébastien Fabiani qui en retient des choses différentes !